Le leadership à l'américaine: une leçon de terrain

Quand je suis en vacances, j'en profite pour faire de belles découvertes et prendre du bon temps. Par moments, je rattrape également, grâce au replay, les émissions que j'ai loupées pendant l'année. Je viens d'en voir une sur un Français qui a été nommé directeur d'un centre de production aux États-Unis. Malgré son statut au sommet de son unité/organisation, il est toujours prêt à descendre sur le terrain pour renforcer ses équipes en cas de besoin ou pour, dans une approche lean, étudier avec elles une façon d'améliorer un processus. Cette différence culturelle me questionne depuis des années. Un bon chef, est-ce celui qui connaît tous les rouages du métier ou celui qui s'appuie sur son savoir théorique pour diriger? Dans cette chronique, je vais bien évidemment noircir le trait pour notre bon vieux continent et rendre l'herbe plus verte aux Amériques, mais je pense qu'il est important de sortir du cadre, à l'instar de ce que nous pouvons faire durant des vacances, pour faire évoluer notre modèle managérial.

Aux États-Unis, de nombreuses sociétés emblématiques ont une approche plus pluridisciplinaire et pratique du monde du travail. Chez ces géants, il n'est pas question pour un manager de se contenter de donner des directives depuis un bureau. Il doit régulièrement enfiler la tenue de travail et se frotter au quotidien des collaborateurs. Cette immersion "sur le terrain" est considérée comme un passage obligé. En côtoyant les réalités opérationnelles, les managers comprennent mieux les défis à relever et les marges de progrès possibles. Ils gagnent aussi le respect, montrant qu'ils ne restent pas dans leur tour d'ivoire.

De notre côté de l'Atlantique, et plus particulièrement dans le monde francophone où l'approche française impose d'avoir fait le baccalauréat et plusieurs années d'études académiques après, nous attendons surtout des managers qu'ils sachent déléguer. Leur légitimité repose de plus en plus souvent sur leur maîtrise académique du métier. Pour ces théoriciens devenus chefs d'équipe, ce sont leurs compétences hypothétiques et pointues qui priment. Nul besoin de répéter constamment les gestes du quotidien, l'essentiel est de guider les troupes grâce à une vision stratégique aiguisée.

Quel modèle fonctionne mieux ? Si l'on se fie à de nombreux exemples de réussite d'entreprises américaines, l'approche pratique où le manager connaît les rouages opérationnels semble avoir fait ses preuves. Ce modèle managérial est également proche de l'ancien modèle suisse, qui se voulait plus pratique grâce à l'apprentissage et aux possibilités offertes de formations diplômantes tout au long du parcours professionnel. Cependant, le nombre d'apprentis diminue chaque année en Suisse, les jeunes se tournant de plus en plus vers un cursus gymnasial et l'université. En étant régulièrement sur le terrain aux côtés de ses équipes, le manager gagne en crédibilité et en légitimité. Il comprend mieux les enjeux concrets auxquels sont confrontés ses collaborateurs au quotidien. Cette immersion facilite la remise en cause des processus et l'identification des pistes d'amélioration. Un manager de terrain insuffle aussi une dynamique fédératrice en montrant l'exemple et en étant un leader impliqué.

Cela ne signifie pas pour autant qu'il faille rejeter en bloc l'approche théorique et académique. Les connaissances acquises sur les bancs de l'école restent un atout indéniable pour asseoir sa vision stratégique. La clé réside plutôt dans le juste équilibre entre expertise opérationnelle et bagage théorique. Chaque organisation doit définir le profil managérial approprié selon sa culture, ses valeurs et ses objectifs. Une chose est sûre : le rôle de manager exige de multiples compétences, humaines, financières, légales et techniques. Celui qui parviendra à allier justement l'expertise, le leadership et l'ancrage sur le terrain sera récompensé par l'adhésion de ses troupes.

Mes lectures de la semaine 15, du 8 au 14 avril 2024:

• Comment l'IA transformera l'économie, personne ne le sait: https://www.wired.com/story/ai-impact-on-work-mary-daly-interview/ (article en anglais)

Rédaction assistée par Claude 3 Sonnet, propulsé par Anthropic.

Image générée par MidJourney, Poséidon marchant de poissons